Voyage en Assinie

A la façon d'une bague, la ligne d'horizon paraissait arrondie, montée des cases du village et rehaussée d'une lune ronde et jaune. Je serpentais le long de la piste en terre qui traversait le village d'Assinie. Il était 18h.

De part et d'autre, les cases étaient rustiques et suintaient d'un bonheur que l'on trouve chez les gens non pressés de vivre. Elles étaient constituées de bric et de broc entassé devant elles, dans un espace ouvert, une sorte de jardin cuisine entrepôt où un bidon éventré, rempli de braises, chauffait, cuisait et grillait un peu d'eau,  quelques légumes ou un poisson. Les cases s'endormaient. Des bruits de vaisselle, de musique et de réprimande nous accompagnaient.

La piste était remplie de trous eux mêmes  pleins d'eau qui reflétaient la lune et nous devions nous concentrer pour ne pas trébucher ou nous éclabousser.  Chaque flaque nous reflétait un tableau noir et rouge où nos ombres s'allongeaient dans de longs filets d'argent.

Au centre du village, la piste gonflait et formait une place devant la maison du chef. Sur son fronton, l'on avait inscrit en lettres capitales : "Jéhovah - Jireh, Genèse 22:14, Dieu a pourvu"

Un manguier magnifique, sous lequel j'imaginais la population se réunir, occupait, plutôt trônait sur un angle de la place.

Des troncs d'arbre alignaient l'espace et offraient un banc aux fesses fatiguées.

Un fil électrique escaladait le mur, sortait d'un appentis  et terminait sa course en suspendant  une ampoule incandescente qui se balançait doucement et projetait une faible lumière jaune qui jouait des ombres d'un orchestre qui s'accordait.

Branchements électriques incertains, amplis de basse et de guitare qui s'essoufflent dans des plaintes et des effets de larsen. Tentatives d'accords et de roulements de batterie avortés puis retentés. Le groupe se composait d'une dizaine de jeunes munis ou non d'instruments. L'excitation qui régnait sur la scène s'opposait au calme apparent des spectateurs.

Les jeunes, l'air de rien, bousculaient les moins jeunes qui se disculpaient devant les plus vieux qui occupaient les troncs d'arbre et souriaient, édentés.

 

Ma première bière fut proposée par l'un d'eux. Il ouvrit une canette et le concert débuta. Ma mousse s'écoula. La soirée s'étira.

A la seconde bière, je lui demandais pourquoi Dieu avait pourvu. Il sourit. Ma mousse s'écoula. La soirée s'étira.

A la troisième bière, c'est lui qui s'étira et narra : " Regardes bien le bassiste. Tu vois, il est suisse. Il est venu cet été avec ses parents. Il cherchait  de la drogue mais on en avait pas. Les parents nous ont remerciés en achetant les instruments. Et ils l'ont laissé ici."

 

Je ne bus pas de quatrième bière car Dieu m'en avait déjà assez pourvu.

 

Marin, le 10 février 2018.

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