Dieu est amivore !

C’est un matin où cette aventure débuta, précisément en me lavant les dents. Je me regardai dans la glace et, inspiré, alors que je ne m’y attendais pas, une pensée folle s’imposa à moi : Dieu existait !

A ce moment, j’ignorai jusqu’à où me conduirait cette découverte.

Ma seule interrogation était triviale : si Dieu nous a fait à son image, il doit nous ressembler. Nous buvons et mangeons, Dieu doit boire et manger.

Alors, j’imaginai Dieu dans son jardin d’Eden, tendre la main et attraper un fruit. Dieu était-il végan ? Herbivore ? Ecolo ? Non. Je ne pouvais le concevoir. Les herbivores sont mangés par les carnivores et franchement, je ne voyais pas Dieu tout en bas de la chaîne alimentaire.

Mais, si Dieu n’était pas herbivore, il devait être carnivore. Je l’imaginai en train de chasser, ou d’élever des canards ? Mais tout ceci me paraissait fondamentalement incongru.

Je butais sur ces réflexions et n’imaginai pas laisser Dieu sur le carreau. Quand j'eus cette seconde révélation : mieux que la raison, son estomac devait nous diriger, Dieu est amivore ! Dieu se nourrit d’âmes.

Dans son monde, il doit accéder à une espèce d’aquarium avec la Terre à l’intérieur. Sans doute, il guette les décès puis aspire les âmes des défunts.

Peut être Dieu organise-t-il ses repas. L'entrée exige un peu d’épice : l’âme du truand y est adaptée. Pour le plat de résistance, l’Homme politique est recommandé : beaux parleurs, extrémistes et révolutionnaires feront l’affaire. Le dessert mérite un minimum sucré : une bonne sœur ou un simplet seront appréciés.

C’est simplement pour cela que Dieu n'est ni pour le bien ni pour le mal.

Auparavant, notre Dieu avait des dinosaures. Il mangeait mal. Pas assez diversifié et trop pauvre : les dinosaures, c'est comme des huitres : un neurone dans une grande écaille.

Mais un matin, Dieu rencontra un de ses collègues repus : « Ecoutes-moi. Nettoies ta planète. Un bon coup d’Ajax. Ensuite, plantes-moi ces deux graines. Tu verras comme ça pousse. Tu n’aurais plus jamais faim. Je les ai appelé les Hommes. »

 

Vous n’imaginez pas ô combien cette révélation changeât ma vie.

Mon esprit cartésien subit un choc.

 

Quelques mois après, il arriva un événement planétaire relayé sur toutes les chaînes sérieuses d’information du monde entier.

L'ensemble des dirigeants de Pays, présidents, rois et dictateurs, firent le même rêve : une prophétie terrible qui annonça que Dieu désirait mettre fin à l'humanité. Dans un an, l’Humanité sera détruite.

Ma thèse du Dieu amivore trouvait écho et je m’interrogeai sur l’objectif de Dieu. Pourquoi désirait-il nettoyer sa planète ? L’histoire des dinosaures se répétait-elle ?

 

Au plus haut niveau des états, ces prémonitions furent prises au sérieux. Les télévisions, la presse et les réseaux sociaux s'emparèrent de la nouvelle et décrivirent l'apocalypse. Des manifestations spontanées furent dénombrées d’un bout à l’autre de la planète. Les églises de toutes confessions ne désemplissaient pas. Les athées se convertirent en masse. Les états républicains basculèrent dans l’ordre religieux.

 

Une Conférence Internationale des Missions fut organisée sous l’égide du Conseil œcuménique des Eglises élargie aux religions et sectes. Même les animistes y siégèrent. Les débats conclurent en l’obligation de nommer un représentant pour l'Humanité qui négocierait avec Dieu l’ajournement de la destruction de l’espèce humaine.

Comment l’Homme pouvait se croire à l’égal de Dieu et négocier avec lui un sursis.

Les églises pilotaient l’élection de leur représentant. Comme un bon match de football ou une course cycliste, je suivais l’évènement. L'Europe fut tout d'abord sélectionnée, puis la France et Paris.

Véritable chauvin, j’exultais. Mais quelle fût ma surprise en découvrant que ma rue était sélectionnée, puis mon immeuble puis enfin, que je devenais l’élu de l’Homme et que ma mission était d’aller converser avec Dieu.

En quelques instants, Mesdames et messieurs, je devenais le plus célèbre des Hommes. Je me préparai à rencontrer Dieu et à négocier l'espèce humaine.

Marin mime d’avoir les pieds englués dans une grosse argile collante. Il essaie d’avancer vers le public mais n’y parvient pas.

Imagine toi ! Tu marches dans un désert, dans un noir total. Tu tentes d’arracher un pied du sol, mais il est englué dans un sable sec. L’autre pied aussi, ne t’obéis pas. Tu tires, tu veux glisser, tu tâtonnes. Tu ne rencontres rien. Aucun obstacle, rien de physique ne te retient.

Tu essaies de crier mais il n’y a pas d’air pour transporter ta voix.

Une lueur blanche, aveuglante apparaît à l’horizon. Le phénomène débute par un mince trait qui s’épaissit peu a peu et commence à envahir l’espace. Tu découvres le lieu nu et vide. Même pas une pierre sur laquelle fixer ton regard.

Tu es las. Une terrible envie de mourir mais tu es déjà mort.

La lumière est immaculée, blanche. Trop blanche. Tu perds connaissance.

Ton esprit reprend peu à peu conscience mais, sans force, on t'a installé dans un lit d’hôpital. Il y a un tuyau dans le nez qui t'incommode. Tu t’évanouis.

Tes réveils sont plus nombreux mais tu restes paralysé. Étrange sensation. Tu as perdu tous tes sens. Tu n'entends rien, tu ne vois rien, tu ne sens rien, ni une odeur, ni ton propre corps.

Certainement, tu t’imagines être revenu sur Terre. Tu as manqué à ta mission et l’on te soigne. Un terrible sentiment d’échec t’obsède. Comment vas-tu pouvoir te regarder encore ?

Ton physique ne réagit pas. Il t’est impossible de bouger ne serait-ce que le petit doigt. Personne ne s'occupe de toi.

Ton cerveau fonctionne bizarre. Tu crois que c’est ton cerveau mais ce n’est plus pareil. Tu ne sais plus compter ni parler mais tu sembles être là. En fait, c’est plus grave encore. Comment dire ? Tu ne possèdes plus aucune intelligence. Aucune réflexion. Mais ta personnalité, ton moi intérieur, est présente.

Ce que tu appelais ton cerveau devient une boule. Comme une petite boule de pâte à tarte, avant de l’étaler.

Tu as l'impression qu'il se déplace et fait des petits bonds. Comme un pizzaiolo qui lance la boule en l’air pour aérer la pâte. Tu t’amuses avec ce nouveau jeu. C’est une nouvelle sensation. Maintenant, tu sais déjà le faire voler d'une dizaine de centimètres.

Tu es toujours nourri par le nez.

Je devine ton état d’âme.

Si tu n’avais pas failli, tu aurais voulu t’adresser à Dieu : « Moi qui étais athée, maintenant je crois en toi. Mais pourquoi vouloir nous détruire ? Sur terre, nous avons construit des églises. Nous avons célébré tes louanges et chanté ta gloire. Peut-être n’a-t-on pas tout entrepris selon ton vœu ? Dis-moi et tu seras exaucé. Renvoies-moi sur terre. Je serai ton ambassadeur et ton prophète et tous m’obéiront. »

Plus tard, le lendemain peut-être, tu joues à nouveau avec ton cerveau, plutôt ton espèce de cerf volant. Cette fois, tu survoles tout l’espace. Tu prends de la hauteur. Là, tout s’éclaire. Tu te vois. Où plutôt, non. Tu ne te vois pas. Il n’y a aucun corps, aucune salle d’hôpital. Aucun tuyau dans le nez. Il n’y a rien qu’un grand vide et ton moi. Ton âme vague. Il n’y a rien qui existe, sauf toi. Tu es l’univers.

Et tu ressens une grande faim. Une terrible faim. Par un réflexe appris Dieu ne sait où, tu te retournes dans ton moi intérieur. Au centre lévite une boule aux reflets bleus et verts. C’est la Terre, c’est les Hommes. Tu as faim et tu te précipites.

Si Marin vous plait, ce serait sympathique de partager ce récit avec vos amis.