La poursuite s’éteint. La vidéo affiche toujours le tableau de Picasso. Marin, sur scène, commente la chanson qu’il vient d’interpréter sans apparaitre.
« Que pensait Charles Baudelaire de son gars qui tue sa femme, la jette dans un trou, juste pour la faire taire alors qu'elle lui reproche de boire !
Non, un assassin de cette trempe ne peut pas avoir Lamevague ! Il a juste l’âme tranchante ! »
La lumière, sur scène, s’éteint.
Le tableau disparait de la vidéo. Une photo du musée Picasso apparait : en haut de l’escalier, sur le palier qui abrite l’œuvre. On voit évidemment que c’est une photo et le public présent est flouté. Marin apparait en surimpression vidéo. Il est déguisé en guide conférencière. Il a une perruque, un badge factice de guide conférencier et un cahier à la main. Il présente l’œuvre de Picasso.
« Bonjour, alors moi, je suis votre guide conférencière.
Je voulais dire que je ne suis pas d’accord avec ton approche, Marin. Il ne faut pas rester superficiel quand on recherche Lamevague.
Quand nous avons visité le musée Picasso, et que je t’ai présenté l’exposition sur Olga Picasso, nous nous sommes longuement arrêtés devant ce tableau, le grand nu au fauteuil rouge, qui représente Olga se tordant de douleur.
Souviens-toi, Marin, tu as qualifié Picasso de créatif génial.
Mais ce que tu ignores, c’est que pour aboutir à sa géniale créativité, Picasso a instrumentalisé ses proches.
A ses débuts, ses tableaux représentaient le physique, l’art du portrait. Le cubisme projeta sa vision intellectuelle du physique. Mais, Picasso voulait sortir du cubisme qui n’était plus à la mode. Il voulait rendre ses peintures vivantes en représentant Lamevague. Pour cela, il avait à demeure un modèle, Olga, qui s’offrait à lui, corps et âme.
Picasso a aimé Olga et a puisé dans cet amour une palette furieuse de sentiments. L’amour, la douceur, la propension d’Olga à la mélancolie, que de tableaux ont été peints. Que cette période devait être heureuse et propice !
Olga était naïve. Elle ne voyait pas Picasso fouiller son âme pour défendre sa cotation.
Quand il a commencé à la détester, ce fut intolérable pour elle. Passer de l’Amour à la haine. Olga hurlait. Picasso peignait. Il peignait l’âme du monstre.
Sans doute, au fil du temps, avait-elle pris l’habitude de regarder ses nouvelles œuvres et de formuler quelques habiles paroles afin d’aider Picasso à en assumer la paternité. Comment a-t-elle réagi en se voyant monstrueuse tout en reconnaissant encore et encore le génie de son mari qui la haïssait si injustement ?
Lutter pour Picasso lui était interdit. Lutter contre Picasso était au dessus de ses forces. Olga se ratatinait. Elle décéda dans un hôpital, consumée de douleur.
Picasso instrumentalisait l’Amour et la Haine, sans doute une perversion narcissique qui offrait l’âme à ses toiles.
C’est alors que Picasso découvre les travaux de Freud sur la dialectique d’Eros et Thanatos qui traite le complexe entre l’affection et l’agression, entre l’amour et la haine. Ce fut sans doute une révélation pour Picasso qui comprit le véritable ressort de son moi intérieur.
Picasso se prend alors pour son propre modèle. Mi humain mi taureau, il appelle ses deux forces paradoxales, l’Amour et la Haine pour tarauder sa dernière conquête.
C’est tout cela qui rend Picasso génial.