La poursuite s’éteint et la scène est plongée dans le noir. Marin est debout sur la vidéo. Il continue à imiter Francesca.
« Je devine ce à quoi tu rumines : Si Arthur Rimbaud vivait, tu voudrais le rencontrer pour parler de Lamevague.
Mon chéri, tu as de la chance d’avoir une femme qui te comprenne, même dans tes délires. Va. Je suis certaine que tu rencontreras Rimbaud, au moins dans tes pensées. Mais surtout, rentres à la maison te coucher.
Ne regarde pas les filles. Tu sais bien, elles sont à l'affût d'un beau mec, surtout d’un poète. Fais attention, je serais malheureuse. »
Marin, reprenant sur scène, alors que Marin, sur la vidéo, le regarde sur la scène comme s’il l’écoutait :
« Je dévalais détrempé le trottoir trempé d’une pluie battante. Je longeais les immeubles, cherchant la protection de toits, comparant les grosses gouttes de gouttières qui vous coulent sur le cou, aux plus fines, mais bien plus nombreuses, qui vous mouillent tout le long quand l’on courre entre les gouttes.
Je pensais à Rimbaud et recherchais l'abri qui délierait mes pensées.
J’optais pour un lieu bruyant, rempli de vagues âmes qui dévidaient leurs propos, vidaient leurs verres et grattaient leurs assiettes.
L’on m'installa au centre énorme d’une salle qui tenait plus à un hall de gare.
En face de moi, un homme était assis. Visage buriné, cheveux frisés, gris et gras, un vieux costume bleu décoré d’une cravate bleue peut être plus foncée ou tâchée, la question pouvait se poser. Sur la table, il avait un vieux téléphone portable et un ticket de métro plié et déplié plusieurs fois. L’homme compulsait son carnet de chèques, en lisait les souches et comptais le nombre de formules vierges.
Je m’épongeais dans la serviette. Ma chemise blanche me collait à la peau.
Il sortit un paquet de cachou pour en mâchouiller un.
J’écrivis sur mon bloc de papier, en grosses lettres : « LAMEVAGUE », puis, passant une ligne, et en capitales : « Un dîner avec Rimbaud ».
L’homme m’interpella : « Lamevague ? Quelle coïncidence ! C’est Lamevague qui m’a conduit ici. »
Je restais bouche bée.
Mais, notez bien, je ne m’appelle pas Rimbaud, je m’appelle Roger Vercel. Je suis marin et écrivain, de profession, propriétaire d’un cargo polyvalent qui transporte du fret et quelques passagers en mer d’Iroise. Récemment, un client me demanda d’aller de Concarneau à Saint Malo livrer un chargement dans un délai très court.
Marin sort un carnet de sa poche. Il lit le carnet et regarde le public pour chercher leur regard.
- J’ai pris des notes lors de cette conversation. Une minute, …
« Dès l'entrée du goulet, mon cargo se heurta à la mer et au vent. La passe ouvrait sur un torrent d'écume qui accourait contre son étrave. Il régnait, dans ce détroit, une effervescence chaotique de déversoir et un immense bruit d'eau bouillante l'emplissait. A l'avant, les premiers coups de mer s'ouvrirent en hauts éventails blêmes, les premières lames s'écrasèrent en tonnant contre les tôles.
Je n’apercevais du cargo qu'une île noire que je poussais devant moi : son gaillard d'avant. A chaque pointe que l'on doublait, le suroît, devant qui tombait une barrière, renforçait son attaque. Il frappait maintenant les tôles et les visages comme un projectile ininterrompu.
Mes trois hommes d’équipage, qui étaient là, debout, pour guetter les feux, et qui devaient rester, sous le ciel noir, sous les coups de l'ouragan, sous le fouet des embruns plus cinglant que les jets dont les dompteurs martèlent les fauves quand ils se battent à mort, ces hommes, second, timonier, homme veille, comprirent tous trois, que la partie serait l’une des plus dures de toutes celles qu'ils avaient jouées.
Le vent secouait des tôles aux oreilles. Ces crépitements métalliques tambourinent seulement aux plus grandes vitesses des tempêtes, les jours où les anémomètres semblent délirer.
Je songeais : Qu'est-ce que ce sera dans le travers de Saint-Mathieu ? Car, c’est à la Pointe Saint-Mathieu que commence l'Iroise, entre deux sinistres îles, Sein et Ouessant, plein de courants d'air et d'eau. Le sens des lames s'y renverse deux fois par jour, au flux et au reflux, oscillant entre deux barrières de brisants, la chaussée de Sein au sud, au nord les Pierres Noires, Ouessant et ses nébuleuses d'écueils. »
Marin commente sa lecture du récit
- Et puis, un peu plus loin, il ajouta :
« Vers onze heures, les grains s'espacèrent mais la mer n'avait rien cédé.
Je connaissais trop la mer pour ne pas deviner qu'elle préparait un sale coup. Je m'en apercevais à une amollie trop brusque, à un silence où j’entendais tout à coup avec une étrange netteté le battement de la machine, mais surtout à la danse large de la mer : les eaux se déhanchaient, se balançaient d'est en ouest comme lorsqu'on secoue un baquet à demi plein.
Je savais que ce balancement était un élan, celui que prennent les eaux pour frapper.
Je sentis le cargo trembler. Puis une force glacée emplit d'un coup la passerelle, hésita un fragment de seconde et se rua. Je m’accrochais à une épontille : le passage de la cataracte m’arracha les pieds du sol… La Lamevague me tapait dans le ventre, des tonnes d'eau me passaient le long des oreilles. »
- Mais, mon ami, je suis las. Je suis ému. Je suis venu à Paris, suite à mon naufrage, pour les questions d’assurances.
Marin apparait dans la rue, vers deux heures du matin, sortant d’un repas bien arrosé. La rue est mouillée d’une pluie récente. Il marche et s’arrête pour parler, puis reprend. La vidéo peut être créative. Les mots et les phrases suivantes pourraient y apparaitre, à la façon d’un générique, afin que les spectateurs lisent le texte, tout en écoutant Marin. Pierre de Marboeuf, l’auteur est cité sur la vidéo.
« Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage »